Merci à...

Quichottine observait le Lutin bleu. Il s'était installé à son bureau, un livre ouvert devant lui... Il en feuilletait les pages avec précaution.

- Tu as bien travaillé... c'est un très beau livre.

"Je" n'ai pas bien travaillé... Il ne faut pas oublier que je n'étais pas seule cette fois.

- Ah ?

Allez ! Ne fais pas l'ingénu... tu sais bien que nous étions trois. Trois pour le relire, trois pour veiller à ce qu'il ne reste pas de ces coquilles que l'on trouve désormais partout. Relire un manuscrit, c'est un vrai métier... et je suis une mauvaise relectrice. Je lis un peu trop vite, je vais à l'essentiel en oubliant que j'ai un jour enseigné les règles d'orthographe et de ponctuation à mes élèves.

- C'est vrai que l'écriture obéit à des règles, même si d'autres langages gagnent du terrain désormais.

Tu as tout compris... et nous n'étions pas trop de trois.

- Alors, donc, il y avait...

Azalaïs, Polly, et moi.

- Les trois complices de "La Petite Fabrique d'écriture"...

Oui ! Tu vois bien que tu savais !

Azalaïs, Polly... et moi. Lointaines et proches grâce à nos messageries respectives.

- Vous formez un triangle qui recouvre presque toute la France...

Et si l'on ajoute sur une carte tous les points des cent trois auteurs, cela fait un polygone dont j'ignore le nom...

- Un sacré travail, pour toi.

Pour nous tous. Azalaïs, Polly et moi, nous étions les "petites mains", celles dont on ne parle jamais dans les livres. Indispensables, mais dans l'ombre des grands auteurs depuis la nuit des temps.

Heureusement, elles et moi sommes aussi parmi les auteurs de ce livre. Nous y aurons donc chacune notre pétale.

- Ouf ! Tu m'as fait peur... J'ai cru un instant que tu avais décidé de ne pas y écrire...

Comment l'aurais-je pu ?

- En te limitant au rôle d'éditrice, de mise-en-pagiste...

Tu crois que ça existe ?

- Quoi ?

Une "mis-en-pagiste".

- Non, ça s'appelle autrement... Mais j'ai oublié le nom. Vous avez tant de noms de métier dans votre monde que je ne peux pas tous les connaître. Au cinéma, j'aurais dit "cadreur".

Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne comparaison.

- Je ne sais pas... Mais je trouve que ça y ressemble... Faire une mise en page, c'est essayer de faire au mieux pour l'harmonie du tout. Tu étais fleuriste autrefois ?

Quichottine se mit à rire de bon cœur. Fleuriste, non, mais elle aurait aimé savoir aussi composer des bouquets pour ceux qui n'ont pas de jardin.

Des fleurs dans le logis, c'est un peu de soleil pour les jours gris.

- Et il sort quand ce livre ? Tu en parles trop, tes lecteurs vont se lasser... Et puis, ils ne savent toujours pas à quoi il ressemblera. Moi, je l'ai vu.

Les auteurs aussi, depuis peu. Mais ils doivent garder le secret jusqu'à dimanche.

- Pourquoi ?

Parce que le livre sera alors en vente, en souscription chez moi.

- Cela ne t'empêche pas de montrer la couverture, si ?

Si, parce que ce n'est pas moi qui l'ai composée. 

- Ah... encore un truc que tu ne m'avais pas dit...
On pourrait croire que c'est toi qui fais tout à te lire !

J'en suis désolée... je n'ai pas dit que je faisait tout, j'ai dit que j'étais occupée, beaucoup... comme Azalaïs et Polly, et comme Solyzaan !

- Solyzaan ?

Oui. Solyzaan. Elle nous a préparé une magnifique couverture, encore plus jolie que celles des précédentes anthologies...

- Tu nous la montres... allez, ne te fais pas prier !

Non, c'est Solyzaan qui va la montrer en premier. 

- Quand ?

Demain, ce samedi.

- Et toi ? Tu nous en diras davantage à ce moment-là ?

Non. Moi, je vous dirai dimanche ce qu'il faut faire... Patienteras-tu jusque là ?

Le Lutin bleu haussa les épaules.

- Moi ? Mais moi, tu sais, j'ai de la chance... j'ai lu le livre tout entier, en avant-première. Je suis privilégié. Mais je n'ai pas encore vu la couverture définitive... Tu me la montres, dis...

(Il avait un tel air que Quichottine fallit fondre et céder... Mais non !)

Non ! Je t'ai dit qu'il fallait attendre demain... ce sera chez Solyzaan.

...